-Bonjour, Cacao !
- Par exemple ! Prunie L'Aventurière ! Te revoilà enfin !
- Oui, Cacao. Je t'avais un peu abandonnée. J'ai eu tant à faire ces
derniers temps.
- Que me racontes-tu, Prunie ? Une petite anecdote dont tu as le secret ?
- Oh, une toute petite, Cacao. Il ne m'arrive pas grand-chose en ce
moment. Mais il y a quelques jours, j'ai pensé à toi, en observant un
instant de vie de tous les jours, qui m'a fait de la peine.
Tu sais que je travaille deux fois par semaine dans la rue E.T.
- Oui, celle de la prison...
- Exactement. Lorsque j'arrive pour 14 H, les jours de visite, il est
très difficile de se garer. Alors je vais plus loin, et je finis à pied.
Ainsi je vois la longue file de voitures le long des trottoirs, et les familles
qui font la queue devant la porte, attendant impatiemment qu'elle s'ouvre
pour aller voir un prisonnier. La plupart du temps, ce sont des femmes.
Des épouses ou des mères. Evidemment.. il y a plus d'hommes incarcérés
que de femmes. Ce qui me fait mal au coeur, c'est lorsque je vois des
mamans tenant des enfants par la main. Quelle que soit la faute commise
par leur père, ça reste leur papa. Il y a dans leurs yeux de la tristesse.
Un peu d'angoisse aussi, face à cette porte fermée, et ces hauts murs, si
grands vus de leur petite taille. En même temps, je sens leur impatience,
et celle de leur mère. Que de sentiments mélangés tournent dans cette
rue ! L'ambiance de tension y est palpable.
- Oui, je comprends, Prunie. Ceux du dehors ne sont pour rien dans les
erreurs de ceux du dedans, mais ils paient quand même le prix fort.
- Je vais te raconter ce qui s'est passé la dernière fois. La file était
déjà longue devant la porte de la prison. Sur le trottoir opposé, une
jeune femme, tanant par la main une petite fille, près d'une vieille voiture
pas mal cabossée, était en conversation avec un policier. Elle lui montrait
des papiers, et l'homme lui indiquait le coin du pare-brise. Elle semblait
désespérée. Je marchais vers mon travail, me rapprochant d'eux. Ne
résistant pas à l'envie d'écouter leur conversation, je me suis arrêtée tout
près, pour rouler une cigarette.
- Tu as recommencé à fumer, Prunie. Ce n'est pas bon pour toi, tu le sais !
- Oui, Cacao. Tant de choses ne sont pas bonnes pour moi. . .
Donc, mine de rien, je tendais l'oreille. . .
- Vous voyez bien que votre assurance est périmée depuis un mois, disait
l'homme.
- Je sais, Monsieur, mais je viens de régler. J'attendais de recevoir
ma paye. C'est fait, j'ai posté le chèque aujourd'hui, ils vont m'envoyer
l'attestation.
La petite fille portait une jolie robe rose à volants, et des sandales d'été
ornées d'une marguerite blanche en plastique. Comme sa maman, elle avait
des cheveux blonds dorés, qui frisottaient. Elle s'était fait deux petites
nattes, retenues en haut par des marguerites, assorties à celles de ses
chaussures. Elle pouvait avoir cinq ans, et semblait ne pas comprendre ce
que disait l'homme. Elle avait juste peur. Quelque chose n'allait pas, mais
quoi ? Allait-on bientôt voir papa ? Maman semblait à cran. Elle parlait
très doucement, très poliment, mais l'enfant la sentait prête à éclater.
Maman était si jolie avant. Maintenant, elle était maigre et pâle. Elle
dormait si peu il est vrai. La fillette regardait l'homme.
Qu'allait-il se passer ? Elle ne savait pas. Pourquoi sa maman baissait-elle
les yeux ? Elle était si gaie ce matin en la préparant.
- Je suis obligé de vous verbaliser, dit le policier.
- Je comprends, répondit la dame...
... Tu vois Cacao, j'ai repris mon chemin, sans me retourner. Que pouvais-
je dire...
L'homme ne faisait que son travail après tout. Même si c'est un drôle
de travail. Et qu'on se demande ce qui pousse à le choisir. . .
Seulement, juste avant de repartir, le temps d'allumer ma cigarette, j'ai
fait un clin d'oeil à la petite fille. Elle a eu un timide sourire et a semblé
contente...