"Quand on a une chance, il faut la saisir", dit à l'AFP la jeune femme, silhouette menue et longs cheveux bruns.
"Ma mère m'a dit: +fais ce que tu veux, fonce!+".
Linda Mihai a suivi le conseil. Elle a décroché le titre de Meilleure apprentie dans sa spécialité,
le pressing, en 2010, cinq ans après son arrivée en France, et prépare aujourd'hui un brevet de maîtrise
avec un centre de formation du Greta et une boutique parisienne d'une grande entreprise où elle travaille.
Mais elle n'a toujours pour seuls papiers que sa carte d'identité roumaine et son passeport.
Une demande de titre de séjour étudiant déposée au printemps 2010 auprès de la préfecture de l'Essonne
est restée lettre morte. Elle en a déposé une nouvelle début novembre.
Elle n'a pas de nouvelles depuis.
Contactée par l'AFP, la préfecture ne précise pas pourquoi la première est restée sans réponse.
Elle ne dit pas non plus quels sont les délais habituels.
En attendant, les conditions de vie de Linda Mihai restent des plus précaires.
Ballottée d'hôtel en hôtel à travers l'Ile-de-France avec ses parents et ses quatre frères et soeurs
pendant six ans, elle s'est réfugiée début septembre avec eux dans un squat à Viry-Châtillon (Essonne),
pour se rapprocher de leurs écoles.
Mais difficile de dormir suffisamment dans un "logement" occupé par une vingtaine de personnes,
d'écrire un mémoire sans internet sous la main.
Qu'importe, la jeune femme a entamé en octobre sa dernière année de formation, accrochée depuis
toujours à son droit à être scolarisée, avec ou sans papiers. "J'étais motivée, je voulais avoir quelque
chose", raconte-t-elle en rendant hommage aux "supers profs" qui l'ont soutenue.
Lorsqu'elle arrive de Roumanie en 2005 pour rejoindre sa mère en région parisienne,
l'adolescente ne connaît pas un mot de français. Mais en huit mois de cours en Essonne dans des
centres d'aide aux femmes et des classes réservées aux étrangers, elle parvient à maîtriser la langue.
Elle intègre un collège d'Evry, elle a 17 ans.
De cette période elle se souvient surtout des trois mois passés dans un hôtel parisien, près de la gare
du Nord. A une cinquantaine de kilomètres et plusieurs heures de bus et de RER de l'établissement
"Je me levais à 05H00 pour arriver en cours à 08H00", raconte-t-elle. "Je me perdais, j'arrivais en retard..."
Pour éviter d'étudier dans la chambre d'hôtel, trop petite, elle se réfugie à la bibliothèque.
Un an de collège, puis le lycée. En 2010, elle a déjà un CAP Pressing lorsque ses professeurs la
présentent au concours de Meilleur apprenti de France. Pari réussi: elle empoche deux médailles d'or
et une d'argent dans sa spécialité.
La jeune Rom sans papiers est reçue sous les ors des salons du Sénat avec les lauréats des autres
métiers. C'était le 23 février 2011. "Petits fours", "salle immense, remplie de monde":
"une journée super!", lâche-t-elle en se replongeant dans les photos de ces instants mémorables.
Sur le site internet de la chambre haute du Parlement, son président d'alors, Gérard Larcher,
loue la "dimension sociale et humaine" de l'apprentissage: il "permet aux jeunes de trouver
leur place dans notre pays", écrit-il.
Mais pour Linda Mihai, rien n'a vraiment changé. Sous sa détermination pointe aujourd'hui
son angoisse. "Si je n'ai pas de papiers à la fin de l'année scolaire, je ne pourrai pas travailler (...)
Parfois on se dit que tout ça c'est pour rien".