Plusieurs fois, il entra dans le magasin.
Se renseigner sur les parasols. Poser
des questions sur les différents
modèles, leur fonctionnement, leur
solidité.
Valait-il mieux un mât en bois ou en
aluminium ?
Une manivelle ? Pas de manivelle ?
Celui-ci était-il fabriqué en France ?
Je vais réfléchir, disait-il. Je reviendrai.
Il revenait. Avec de nouvelles questions : Quelle taille choisir ? Et la forme ?
Rond, carré, rectangulaire ?
Vous comprenez, nous ne sommes là que depuis six mois. Nous venons de
prendre notre retraite. Mais ma femme est malade. Elle ne peut
m'accompagner. J'hésite ...
Je reviendrai.
Il revenait. Patiemment, le vendeur l'écoutait, essayant de l'aiguiller.
Il s'adressait toujours au même. S'il n'était pas libre, il l'attendait,
tournant autour du rayon des parasols.
Puis on ne le vit plus, pendant plusieurs semaines.
Un matin, il entra. Le vendeur était libre. On discuta encore des avantages
de chaque parasol. Il dit soudain que sa femme venait de mourir. Expliqua de
quoi et comment. Donna l'heure et le lieu de l'enterrement.
Compatissant, le vendeur écoutait. L'homme sortit de sa poche l'avis de décès,
qu'il lui fit lire.
-- Excusez-moi, dit-il soudain. Vous vous en foutez, c'est normal...
-- Pas du tout dit le vendeur. Je vous comprends... Alors vous allez réfléchir,
pour ce parasol... Et vous reviendrez...
-- Non, non, dit l'homme. Je le prends. Celui-ci.
Et il repartit avec un beau parasol tout neuf.
Le lendemain, le vendeur alla à l'enterrement d'une femme qu'il n'avait jamais
vue. L'homme revint parfois au magasin, y fit même des achats. Mais pas auprès
du vendeur de parasols. Cependant, lorsqu'il le croisait, il lui faisait sans rien dire
un coup d'oeil complice.