En ce temps-là, Prunie L'Aventurière travaillait trois
fois par semaine chez la vieille dame, surnommée, bien au-delà
des limites du canton, "La Veuve Douairière".
Elle était veuve, depuis bien longtemps, de celui qui avait été, durant
d'innombrables mandats, Maire, ce qui veut dire chef ( incontesté ? )
du petit village.
Le Conseil Général du département, allouait à la mamie, comme à
beaucoup de personnes âgées, quelques heures d'aide à domicile par
semaine, dont il finançait la plus grande partie, puisque cette aide
est proportionnelle aux revenus, et qu'elle en déclarait fort peu.
Le vent de Novembre soufflait en tourbillons sur les berges
de la Dordogne, qu'on appelle aussi, à tort ou à raison, (question que se
posait souvent Prunie), "La Rivière Espérance" . . .
Il n'était pas moins fort, ni moins froid, sur la pelouse jonchée de feuilles
de La Veuve Douairière.
Et cela faisait désordre, n'est-il pas, toutes ces feuilles, se dispersant
sur l'herbe si bien tondue . . .
- Non, non, Prunie, ne vous déchaussez pas ! Gardez votre manteau !
Vous allez prendre le râteau dans la remise, et ratisser les feuilles.
Puis vous les mettrez dans des sacs-poubelle, et vous les porterez
au container.
- Mais Madame, ce n'est pas le moment de ramasser les feuilles,
voyez le vent qu'il fait, vous en aurez autant par-terre dans une heure !
En plus vos sacs sont minuscules, et vous savez qu'il est interdit de jeter
les déchets végétaux dans les containers des poubelles ordinaires.
Il faut les porter à la déchetterie.
- Et bien vous irez en vous retirant, d'autant qu'après moi vous n'avez
pas Madame R. puisque vous m'avez dit qu'elle était partie quelques
jours chez sa fille . . .
- Mais la déchetterie n'est pas du tout sur mon chemin, et puis il fera
nuit. Le mieux, à la rigueur, est que je mette les feuilles sous les haies,
ça fera du compost . . .
- Vous n'y pensez pas ! Ca fera SALE, c'est tout . . . Allez, ne
discutez pas, faites comme je vous ai dit. Je n'ai pas besoin de vous
dedans, entre les pieds, car j'attends la soeur de l'Adjudant-chef
Duschnock pour le thé.
. . . Prunie L'Aventurière ne discuta pas, elle prit son petit râteau,
ratissa, en boucle, la verte pelouse, où les feuilles retombaient,
inexorablement, sur chaque carré "fait propre" dans les minutes qui
suivaient. Elle remplit, en tassant bien, le plus de petits sacs possible
dans le temps imparti, prenant soin de ne pas en nouer les liens,
pour pouvoir les vider ensuite dans le bac "végétaux" de la déchetterie
communale.
Elle avait un peu froid, mais elle aimait prendre l'air . . .
Et puis, ça ou peigner la girafe . . . Le Conseil Général paierait, n'est-il
pas ? Elle avait juste un peu honte de contribuer aux "incivilités" de la
veuve de l'ancien Maire...
Lorsqu'elle arriva, à la déchetterie, il faisait nuit noire. Le vent était
tombé, remplacé par une pluie battante.
De toute façon, l'employé était en train de fermer, et lui signifia,
ce qu'elle comprit bien, qu'elle devrait revenir le lendemain.
En rentrant chez elle, quelques sacs se renversèrent dans les virages,
mais comme les feuilles mouillées étaient bien agglutinées, elle n'eut
pas trop de difficulté à vider et nettoyer sa voiture.
Les feuilles, elle les mit sous ses haies à elle, et finalement cela lui
prit un peu moins d'une heure. Comme pourboire, elle récupéra tous les
sacs, encore parfaitement utilisables . . .
Elle se mouilla "un peu", mais après se fit du thé brûlant et alluma un
feu de cheminée, devant lequel elle s'endormit. . .
. . . Rêvant à La Veuve Douairière, à L'Ancien Maire,au Conseil Général
du Lot, de la Dordogne, et de toutes les rivières réunies . . .
Cacao.