Encore frissonnant
Sous la peau des ténèbres,
Tous les matins je dois
Recomposer un homme
Avec tout ce mélange
De mes jours précédents
Et le peu qui me reste
De mes jours à venir.
Me voici tout entier,
Je vais vers la fenêtre.
Lumière de ce jour,
Je viens du fond des temps,
Respecte avec douceur
Mes minutes obscures,
Épargne encore un peu
Ce que j’ai de nocturne,
D’étoilé en dedans
Et de prêt à mourir
Sous le soleil montant
Qui ne sait que grandir.
Jules Supervielle (1884-1960)
Illustration: Henry Cousinou
Jules Supervielle (16 Janvier 1884-17 Mai 1960), poète et écrivain français né en Uruguay.
Il s'est toujours tenu à l'écart des Surréalistes qui régnaient sur la première moitié du XXe siècle (rappelons que
le Manifeste d'André Breton date de1924). Désireux de proposer une poésie plus humaine et de renouer avec
le monde, il rejetait l'écriture automatique et la dictature de l'inconscient, sans pour autant renier les acquis de la
poésie moderne depuis Baudelaire, Rimbaud et Appolinaire, ainsi que certaines innovations fondamentales
du surréalisme.
Attentif à l'univers qui l'entourait, comme aux fantômes de son monde intérieur, il a été l'un des premiers à
préconiser cette vigilance, ce contrôle que les générations suivantes, s'éloignant du mouvement surréaliste, ont
mis à l'honneur. Il a anticipé les mouvements des années 1945-50, dominés par les puissantes personnalités
de René Char, Henri Michaux, Saint-John Perse ou Francis Ponge, puis - après la parenthèse avant-gardiste
des années 1960-70 - ceux des poètes désireux de créer un nouveau lyrisme et d'introduire une certaine forme
de sacré ou, tout au moins, une approche plus modeste des mystères de l'univers, sans remise en cause
radicale du langage :Yves Bonnefoy, Edmond Jabès, Jacques Dupin, Eugène Guillevic, Jean Grosjean, André
Frénaud, André du Bouchet, Jean Follain, etc...
Ses admirateurs ou successeurs spirituels se nomment René-Guy Cadou, Alain Bosquet, Lionel Ray, Claude
Roy, Philippe Jaccottet, Jacques Réda...